Syriza-Grecs indépendants : «Cette alliance, c’est vraiment jouer avec le feu»

MATTHIEU ECOIFFIER

Daniel Cohn-Bendit à Paris le 4 mars, au QG de campagne des Verts pour les européennes. (Photo Marc Chaumeil)

Daniel Cohn-Bendit à Paris le 4 mars, au QG de campagne des Verts pour les européennes. (Photo Marc Chaumeil)

por Matthieu Ecoiffier

INTERVIEW Daniel Cohn-Bendit fustige l’union entre la gauche radicale et les Grecs indépendants, qu’il qualifie de «xénophobes et racistes», et appelle François Hollande à devenir un médiateur entre Athènes et Berlin.


Syriza, le parti de la gauche radicale, et les Grecs indépendants (ANEL), eurosceptiques, ont annoncé qu’ils allaient former une alliance pour s’assurer la majorité au Parlement grec et former un gouvernement. Malgré sa victoire, dimanche, lors des législatives, le leader de Syriza, Aléxis Tsípras, a en effet manqué de deux élus la majorité absolue, n’obtenant que 149 sièges sur les 300 du Parlement. En fin de matinée, Tsípras a rencontré Pános Kamménos, le dirigeant de l’ANEL, qui a obtenu 4,75% des voix et 13 députés. «Nous allons donner un vote de confiance au nouveau Premier ministre, Aléxis Tsípras», a affirmé Kamménos à l’issue de leur rendez-vous. Daniel Cohn-Bendit, cofondateur d’Europe Ecologie-les Verts (EE-LV) et ancien coprésident du groupe vert au Parlement européen, explique pourquoi cette alliance est «contre-nature».
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Comment jugez-vous l’alliance entre Syriza et les Grecs indépendants ?
L’alliance Syriza-Grec indépendants ? C’est un scandale. Même dans mes pulsions les plus antigauche radicale traditionnelles, jamais je n’aurais imaginé que la première alliance de Syriza se fasse avec Pános Kamménos, un homophobe, un antisémite et un raciste. Qui a en plus été chopé par le fisc grec pour être le propriétaire d’un yacht qu’il n’avait pas déclaré et des impôts qu’il n’avait pas payés. Son parti est ultranationaliste. C’est un peu comme si Mélenchon faisait alliance avec Dupont-Aignan, encore que ce dernier soit beaucoup plus républicain que les Grecs indépendants. Syriza et l’ANEL ont en commun le refus de la politique d’austérité, mais il faut savoir que ce parti des Grecs indépendants, issu d’une scission avec la droite grecque [Nouvelle Démocratie, ndlr], était complètement mêlé et imprégné par cette vieille politique. Si, comme c’est en discussion, l’ANEL prend les rênes de la Défense, qui est l’un des grands viviers de la corruption via les contrats d’armement, je ne vois pas en quoi cela sera un signe de renouvellement. C’est dans la tradition classique du nationalisme grec.

En même temps, comme Tsípras a fait campagne sur une alternative à la politique austéritaire, il lui est difficile de se tourner vers les partis de la gauche traditionnelle, comme le Pasok, qui l’ont soutenue dans la coalition sortante… Le parti Potámi, au centre, est lui associé aux oligarques…
Tsípras se dit peut-être que l’ANEL est le parti qui lui posera le moins de problèmes pour gouverner. Ils se retrouvent sur leur refus radical du mémorandum et de la politique européenne, ce que l’on peut comprendre. Mais il n’y a pas que le problème de l’Europe en Grèce, il y a aussi la question de l’immigration. Or, le parti des Grecs indépendants a fait une campagne xénophobe et raciste.

Comment lisez-vous ces résultats?
La victoire de Syriza et de Tsípras n’est qu’un renversement à l’intérieur de la gauche grecque. En 2009, les socialistes du Pasok faisaient 43% et la gauche radicale 5%. Aujourd’hui, le rapport de force est inversé. Mais le reste de la carte politique ne change pas. Certes, 36% pour Tsípras, c’est une victoire énorme contre Nouvelle Démocratie mais, avec 60% de participation, cela représente 20% à 22% de la population derrière Syriza. Je crois que la solution la plus difficile, et c’est peut-être ce que jouera à moyen terme Tsípras, ce sera de tendre la main au centre droit. Ce qu’il veut, c’est que Samaras [l’ex-Premier ministre conservateur de Nouvelle Démocratie] parte. La première chose qu’il doit faire, c’est de nommer un candidat pour l’élection à la présidence de la République. 180 voix sont requises pour cette élection. Or, il est presque acquis qu’il va proposer Avramópoulos, le commissaire grec à Bruxelles nommé par Samaras. Ce qui est une façon habile de tendre la main à une partie de la droite de gouvernement, mais cela semble contradictoire avec son alliance avec les Grecs indépendants. Potámi [centre droit] a d’ailleurs tout de suite dit qu’il leur semblait inconcevable de soutenir un gouvernement comprenant un parti homophobe, raciste et antisémite.

Pourquoi Tsípras s’allie-t-il avec les Grecs indépendants ?
Je crois que Tsípras essaie de renouer avec la tradition du papa Papandréou. C’était une gauche ultranationaliste, anti-impérialiste et anti-américaine. Elle a aussi été, pendant la guerre des Balkans, le cœur orthodoxe du soutien de la grande majorité des Grecs aux Serbes contre les Bosniaques, parce qu’ils étaient musulmans. Cette alliance avec l’ANEL, c’est vraiment jouer avec le feu.

L’alliance avec les Grecs indépendants va-t-elle affaiblir Tsípras dans sa négocation pour rééchelonner la dette d’Athènes à Bruxelles ?
Cela ne le renforce pas. La restructuration de la dette grecque, cela fait des années que nous la réclamons. Pour mettre en œuvre son programme «humanitaire», comme il dit, augmenter les retraites, supprimer certains impôts injustes, embaucher 300 000 personnes dans la fonction publique, il lui faut de l’argent frais. Lorsque Tsípras dit non au mémorandum, non à la troïka, il a raison. Tout comme lorsqu’il dit : «Nous, les Grecs, sommes unis pour un programme de modernisation de la société et de revalorisation des minimums sociaux.» Si Bruxelles joue le cynisme et lui ferme la porte, Tsípras n’a que deux possibilités pour trouver des fonds : la Chine et la Russie. Devenir la tête de pont de Poutine serait un retournement stratégique complet de la politique grecque…

Quelle doit être l’attitude de François Hollande?
D’abord, il faut qu’on arrête de dire que tout se règle à Berlin. Laisser le gouvernement grec dans un face-à-face avec le gouvernement allemand serait une grave erreur. Cela ne doit pas se décider à Berlin, mais à Bruxelles, par l’Union européenne, les gouvernements européens. Dans cette affaire, Hollande devrait s’ériger en médiateur en disant : «Oui, il faut donner une chance au nouveau gouvernement grec et l’aider à sortir de cette impasse où il s’est mis avec cette alliance contre-nature [avec les Grecs indépendants], et proposer un autre fonctionnement.» Au lieu de répéter toujours la même rhétorique − «il faut que les Grecs respectent leurs accords» −, il serait plus constructif de dire : «Maintenant, qu’est-ce qu’on peut faire ?» Mais, avant toute chose, Hollande doit commencer par dire haut et fort que la politique des gouvernements européens vis-à-vis de la Grèce a échoué. Et qu’il faut repartir de zéro.

Matthieu ECOIFFIER